Nicolas de Staël

L'aristocratique Nicolas Vladimirovitch de Staël von Holstein n'était pas homme à traduire dans sa peinture la dépression qui l'emporta (pas plus que Diane Arbus, dont je vous parlerai très bientôt). Il est mort d'épuisement, de solitude, de désamour, mais rien ne nous autorise dans sa vie, dans ses écrits, à tenir le discours larmoyant sur l'artiste maudit et ses dernières toiles si trâââgiques, qu'on lit trop souvent.

Deux mots sur sa vie, sans volonté d'explication de ses toiles: orphelin très jeune, transplanté de Russie en Pologne, puis en Belgique, multi-culturel et polyglotte, il a acquis une très grande culture artistique et sera toujours très curieux d'art, tant classique que contemporain. A 25 ans, il détruit toutes ses toiles, et, peu après, s'engage dans la Légion. Sa première femme meurt en 1946, il connaît de gros problèmes financiers, mais, à partir de 1953, il est reconnu et à l'aise financièrement. Il vient s'installer à Antibes en Octobre 1954 en ermite: homme du Nord attiré par le soleil, d'abord sicilien, puis provençal.

Stael_1 Ses tableaux tiennent d'eux-mêmes, sans besoin de discours psychologique. Dans la frénésie de peindre qui le prend ces derniers mois, il n'est jamais si bon que dans ses toiles les plus structurées, les plus construites, élaborées presque scientifiquement, géométriquement. Ce railleur de l'abstraction ("le gang de l'abstraction avant"), s'il est redevenu figuratif, l'est dans une ascèse, une pureté, une structuration que lui envieraient bien des abstraits, lyriques ou constructionnistes. Le grand Nu couché bleu n'est que géométrie, une suite de triangles qui séparent le drap blanc du mur rouge, les genoux isocèles.

Stael_mats Staël écrit remarquablement bien sur son travail, sur son rapport à l'objet, à la réalité, à sa transcription sur la toile. Un de ses textes, "Penser ou ne pas penser. Se tranquilliser sur les images habituelles, traditionnelles de la pensée ou mettre devant notre conscience la question du sens de la vie de l'homme sur terre. Il faut choisir entre ces deux voies: la première est plus calme, peut-être plus vraie, la seconde est plus attirante." Une toile de Staël se livre dans les premières minutes où on la voit; ensuite on analyse, on réfléchit, mais on perd cette spontanéité innée. Pendant ces premiers instants, on accède à l'essence même des objets, à leur vérité, ou plutôt à la vérité du rapport du peintre avec eux. Staël peint ce que tout le monde peint, des pots, des bocaux, des pinceaux, il les peint à grands coups de brosse, en couleurs sourdes ou vives. Mais l'émotion qui se dégage de ses toiles vient surtout de leur composition, de ces rectangles qui sont autant de portes, de ces lignes qui sont autant d'invites.

Stael_bleu Les Mâts, (ci-dessus) motif simple et rythmique. Mais ce sont ses natures mortes qui restent mon souvenir le plus vivace. Tantôt (Nature morte au fond bleu, ci-contre) le fonds est tourmenté, la peinture a été étalée au couteau comme dans une lutte violente avec la toile, les objets flottent en suspension.

Stael_rouge La Nature morte, fond rouge est, elle, peinte en aplats lisses, apaisés, avec la même frontalité des objets, ustensiles de cuisine ordinaires à l'assisse incertaine. Toujours l'espace est divisé, construit, mis en place; la composition tend vers l'abstraction. La Cathédrale n'est ainsi qu'un assemblage de rectangles lumineux d'où s'élance un clocher perçant la nuit.

Stael_concert

Tout le monde vous parlera bien sûr de son dernier tableau inachevé, le gigantesque Concert, devant lequel, terrassé, impuissant, épuisé, il a renoncé à continuer à peindre, à continuer à vivre. Qu'importe ! Voyez plutôt l'étagement des formes, du piano noir, lourd, carré au violoncelle aérien, jaune orangé, qui s'affine et s'envole; entre les deux, sont-ce des pupitres porte-partitions? des lignes de musique ? L'étude au dessin de ce tableau est maculée de taches rouges.

Les photos du peintre , prises par Georgette Chadourne, nous montrent un aristocrate solitaire, distant, un peu voyou, au visage en rasoir, au regard acéré. La seule photo où Staël sourit a été prise par le conservateur du Musée Picasso (alors Château Grimaldi) qui projetait une exposition de ses toiles; Elle a été prise le 15 mars, la veille de son suicide: vous voyez comme c'est difficile d'éviter tout sentimentalisme quand on parle de Nicolas de Staël ! Est-il nécessaire d'ajouter que je suis ressorti de cette exposition émerveillé?



02/12/2005
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 2 autres membres